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Avis de ECOLO Rochefort

Le dossier transmis le 6 mai 2013 par Lhoist Industries s.a. auprès du Collège de Ville de Rochefort en annexe à la demande de permis d’environnement introduite pour mener l’étape de validation du concept par essai de pompage de son projet d’approfondissement de la Carrière de la Boverie a retenu toute l’attention de ECOLO Rochefort.


Cette étape fait suite à l’étude hydrogéologique qui a fait l’objet d’une convention conclue en juin 2008 entre Lhoist Industries s.a., l’Abbaye Notre-Dame de Saint-Remy et la Ville de Rochefort.

La demande de Lhoist Industrie s.a. a été transmise au Fonctionnaire Technique de Namur de la Direction générale de l’Agriculture, des Ressources naturelles et de l’Environnement du Service Public de Wallonie pour examen.

La délibération du Conseil communal en sa séance de juin 2008 insiste bien sur le fait que la Ville de Rochefort n’a aucun intérêt à la réalisation du projet de Lhoist Industrie s.a. et qu’elle ne s’engage dans la convention visée qu’avec la plus grande réserve. Il est également stipulé la prévalence du principe de précaution et insisté sur la nécessité du caractère de réversibilité de l’étude, y compris dans sa phase active.

ECOLO Rochefort avait rappelé ces conditions avant de marquer son accord à la conclusion de cette convention.

Dans le cadre de l’enquête publique prévue dans la procédure relative à la demande d’environnement dont objet, ECOLO Rochefort a rencontré la direction de Lhoist Industrie s.a. et les responsables de l’Abbaye Notre-Dame de Saint-Remy afin de disposer de la meilleure connaissance possible du dossier et émettre un avis en toute indépendance.

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Le projet :

Le projet de Lhoist Industrie s.a. porte sur l’approfondissement de la cote +230 m jusque la cote de +160 m de l’exploitation du gisement de calcaire de la plaine du Gerny, soit sous le niveau actuel de la nappe aquifère de la Boverie qui alimente la galerie de Tridaine à la cote de +211 m. Cette galerie d’une longueur de +/- 120 m a été creusée par la Ville de Rochefort en 1892. L’eau qui s’y écoule de manière entièrement gravitaire, sans pompe et sans moteur, constitue la « source » de Tridaine. Pour rappel, la « source » de Tridaine constitue la source d’eau potable principale de l’agglomération de Rochefort. Elle approvisionne également l’Abbaye Notre-Dame de Saint-Remy. Sa production est gratuite.

Le niveau actuel de la nappe de la Boverie est à la cote +212 m. Le fond de la nappe de la Boverie est estimé à la cote +60 m. Le projet de Lhoist Industrie s.a. prévoit un pompage d’exhaure via forage de 3 puits jusque la cote de +80 m en périphérie de la carrière. La valorisation des eaux d’exhaure via de nouvelles conduites d’adduction permettrait de maintenir l’approvisionnement en eau potable de l’agglomération de Rochefort et de l’Abbaye tant en quantité qu’en qualité.

L’aspect quantitatif serait garanti par la mise en œuvre de la modélisation mathématique de la nappe aquifère réalisée par une équipe universitaire lors de l’étude. Le débit serait constant tout au long de l’année et supérieur aux besoins actuels de l’agglomération de Rochefort et de l’Abbaye. Le dispositif visé permettrait de surmonter les périodes de sécheresse, durant lesquelles la Ville de Rochefort doit se fournir en eau sur le réseau public et l’Abbaye doit utiliser l’eau du puits dont elle dispose et qui est foré dans l’aquifère de Neuville. Le solde de l’eau pompée par rapport aux besoins de la Ville de Rochefort et de l’Abbaye serait restitué vers la galerie Tridaine, les étangs de l’Abbaye et le Biran.

L’aspect qualitatif serait basé sur la campagne d’échantillonnage des eaux dans les différents puits forés au cours de l’étude et la caractérisation chimique des eaux. L’hypothèse est que la qualité de l’eau produite lors du pompage d’exhaure respectera les normes car les eaux seront prélevées à une plus grande profondeur dans la nappe.

Les canalisations enterrées seront posées dans la zone Natura 2000 qui borde la carrière au nord-ouest. Le tracé des canalisations a été réalisé en accord avec le Département Nature et Forêts de la Région wallonne pour limiter au maximum l’impact sur la futaie.

Lhoist Industrie s.a. prendrait en charge et garantirait la totalité des coûts opérationnels de l’ensemble des installations, non seulement pendant la phase d’exploitation de la carrière, mais aussi pour une période de 100 ans à dater du démarrage du pompage. L’exploitation des réserves de calcaire de la Carrière de la Boverie jusque la cote +160 m permettrait à Lhoist Industries s.a. d’approvisionner l’usine à chaux sise sur les territoires de Jemelle et de On jusqu’en 2045. Le site emploie actuellement 103 personnes au sein de la carrière et de l’usine à chaux.

L’étape de validation :

L’étape de validation porte sur la pose de canalisations d’adduction d’eau et le pompage d’un débit de 50m3/heure jusque la cote +206 m au plus bas de l’eau de la nappe de la Boverie, soit 6 m maximum en dessous du niveau actuel. Les variations de la nappe seraient mesurées durant une période de 9 mois – une période « sèche » suivie d’une période « humide ». L’eau pompée serait transférée vers la galerie de Tridaine pour alimenter comme à ce jour l’agglomération de Rochefort et l’Abbaye Notre-Dame de Saint-Remy.

Cette étape est présentée comme 100% réversible par Lhoist Industrie s.a.. Elle serait supervisée par un bureau d’étude spécialisé. La Ville de Rochefort et l’Abbaye seraient régulièrement informés.

Cette étape fait également l’objet d’un permis d’urbanisme pour lequel l’avis du Collège des Bourgmestre et Echevins de la Ville de Rochefort a été sollicité.

Sur base des résultats de cette étape, Lhoist Industrie s.a. introduirait une demande de permis unique pour mettre son projet en œuvre. Une étude d’incidence pour examiner l’impact du projet sur l’environnement et les riverains serait lancée, de même qu’une nouvelle enquête publique.

Le contexte :

Complémentairement à la « source » de Tridaine, la Ville exploite par pompage les puits dénommés « Préhyr I » et « Préhyr II » situés au sud de la résurgence de Tridaine.

En 2008, les volumes d’eau captés annuellement étaient de l’ordre de :

 400.000 m3/an à Tridaine pour la Ville de Rochefort (distribution publique)

 100.000 m3/an à Tridaine pour l’Abbaye (consommation privée et brasserie)

 100.000 m3/an à Préhyr I et II pour la Ville de Rochefort (distribution publique)

Tant l’eau actuellement issue de la « source » de Tridaine que l’eau captée à Préhyr ne requièrent aucun traitement additionnel préalable à leur mise en distribution publique. La très grande qualité de ces eaux est constante.

L’aquifère de la Boverie est alimenté par des eaux provenant de points de perte bien localisés mais aussi par de l’infiltration diffuse. En comparant le débit de la « source » Tridaine aux précipitations qui tombent sur le massif du Gerny, des géologues ont pu conclure dès 1985 que les bancs schisteux qui limitent les lentilles calcaires constituant le cœur de cet aquifère ne sont pas imperméables et qu’il y a des connexions et une alimentation vers d’autres aquifères.

Par ailleurs, de nombreux traçages pour caractériser les circulations d’eau souterraines dans le réseau karstique du Gerny ont été effectués en 1974, 2001, 2002 et 2004 par des géologues et des spéléologues. Ces traçages ont montré maintes interconnexions.
La convention conclue en 2008 entre Lhoist Industries s.a., l’Abbaye Notre-Dame de Saint-Remy et la Ville de Rochefort fait référence à des études menées par une équipe universitaire qui ont démontré l’interconnexion des puits de Préhyr avec la nappe de la Boverie alimentant la « source » de Tridaine.

Ces études ont mis en évidence l’extrême vulnérabilité de la « source » Tridaine – et donc des puits de Préhyr – compte tenu des vitesses de circulation très rapides des eaux observées dans le réseau karstique du Gerny.

Les habitants de Rochefort d’aujourd’hui et des générations futures sont donc concernés en premier rang par l’impact potentiel du projet proposé par Lhoist Industrie s.a.

photo www.rtbf.beECOLO Rochefort est également sensible aux conséquences que pourraient avoir le projet sur la production de la Trappiste de Rochefort par l’Abbaye Notre-Dame de Saint-Remy et sait les emplois générés par cette activité économique.

Les études citées ont permis la délimitation de périmètres de protection et de surveillance de la « source » de Tridaine et des puits de Préhyr. La Ville de Rochefort a depuis affiné ces études.

Cette délimitation définit les zones sensibles dans le bassin d’alimentation de l’ensemble du système en vue de prévenir une modification de la qualité mais aussi de la quantité des eaux en tenant compte – entre autres – de la carrière de la Boverie, des activités agricoles sur le plateau du Gerny et de leur impact éventuel sur la qualité chimique des eaux, de l’habitat à proximité des chantoirs et de points de perte et des risques liés aux rejets d’eaux usées.


Conclusions :

ECOLO Rochefort reconnait à Lhoist Industries s.a. la volonté de concilier ses intérêts avec ceux de la Ville de Rochefort et de l’Abbaye Notre-Dame de Saint-Remy. Par ailleurs, ECOLO Rochefort est très sensible au volume d’emplois que représentent les activités de Lhoist Industrie s.a. sur ses sites de Jemelle et de On.

L’eau constitue un bien fondamental, vital mais fragile qui peut être irrémédiablement altéré par les activités humaines. Pour les habitants de Rochefort, tant les aspects quantitatifs que qualitatifs de l’approvisionnement actuel doivent être préservés. Par ailleurs, aucun surcoût ne peut leur être imposé tandis que les potentialités économiques de l’eau de la « source » de Tridaine doivent être préservées.

Il n’est pas certain que l’approfondissement de la carrière dans les conditions prévues dans le projet présenté par Lhoist Industrie s.a. conduirait à l’assèchement de la nappe de la Boverie et donc à tarir la « source » de Tridaine.

Mais nul ne peut prédire l’impact exact qu’aurait le projet sur l’ensemble du réseau hydrologique du plateau du Gerny et son écosystème. Les risques de dommages irréversibles sont grands.

Si le Fonctionnaire Technique du Service Public de Wallonie en charge du dossier devait accéder à la demande de Lhoist Industrie s.a. dans sa réponse, l’étape de validation visée par la présente enquête devrait s’étendre sur une période bien plus longue que celle proposée et faire l’objet d’un suivi continu par une équipe d’experts totalement indépendants.

La prévalence du principe de précaution est impérative et doit être maintenue.

Or les assurances quant au caractère réversible de l’étape de validation telle que présentée ne nous paraissent pas suffisantes dans le contexte décrit plus haut.

Notre avis dans le cadre de l’enquête dont objet ne peut donc être favorable.

Le Ministre Philippe Henry – Ministre de l’Environnement, de l’Aménagement du territoire et de la Mobilité du Gouvernement de la Région wallonne – vient de relancer le projet de création d’une zone de protection de la « source » de Tridaine.

Ce projet va très prochainement être soumis à enquête publique pour une durée de 30 jours.

Nous nous permettons dès lors de recommander à Lhoist Industrie s.a. de suspendre son projet et d’examiner les possibilités de révision ou les solutions alternatives pour tenir compte des prescriptions qui seront émises au terme de la création effective de cette zone de protection de la « source » de Tridaine.